mercredi, décembre 14, 2005

Faust et Don Juan

Madox Brown (1821-1893), Haydée découvrant le corps de Don Juan , 1878.
Ce tableau est inspiré de Don Juan, satire épique, publié par Byron entre 1819 et 1824 (Chant II, strophes CXII à CXXIX). A la suite d'une intrigue galante avec Doña Julia, Don Juan, jeune noble sévillan âgé de seize ans, est envoyé à l'étranger par sa mère. Le navire qui l'emmène fait naufrage. Il prend place à bord d'une chaloupe avec une partie de l'équipage. Il est rejeté sur une île grecque et découvert par Haydée, fille du corsaire Lambro.
Le tableau est au musée d'Orsay.



Kierkegaard a remarquablement conceptualisé sa philosophie en trois stades existentiels représentés par trois figures mythiques. En effet, l'être humain éprouve dans sa vie des sensations de jouissance, de doute, de désespoir.
Simplifions et approprions-nous ses propres concepts en les adaptant à ce qui nous convient et donc en écartant son approche philosophique de la foi, sa démarche existentialiste chrétienne. En effet, contrairement à ce que l'on pense couramment, Dieu est une création de l'homme (et non l'inverse), la religion en est le fruit. Si Dieu, qui a conçu l'univers, est parfait et infiniment bon, comment a-t-il pu concevoir le mal ? Il y a là une incohérence que nous ne pouvons accepter.
Je ne peux résister à citer l'un de mes auteurs favoris car il révèle mieux que quiconque cette usurpation :
Car devant Dieu, il y a moins un problème de la liberté qu'un problème du mal. On connait l'alternative : ou nous ne sommes pas libres et Dieu tout-puissant est responsable du mal, ou nous sommes libres et responsables, mais Dieu n'est pas tout-puissant.
Albert Camus, Le mythe de Sisyphe.
Simplifions encore :
Religion : Fille de l'Espoir et de la Peur expliquant à l'Ignorance la nature de l'Inconnaissable.
Ambrose Bierce

Revenons à notre tryptique : La jouissance est symbolisée par Don Juan, le doute par Faust et le désespoir par Ahasvérus.
Le premier stade est le stade esthétique ou l'homme, 'égoiste', vit dans l'instant, à la recherche du plaisir, dans le moment isolé (Don Juan). Il se choisit lui-même, il jouit.
Vient ensuite le stade éthique. L'éthicien ou moraliste est l'homme qui vit dans le temps historique, dans la généralité sociale, dans la continuité vitale (le mythe de Faust). La jeunesse éternelle.
Et puis vient la relation dialectique ou l'homme vit en rapport avec l'éternité ou l'instant ou la durée temporelle n'ont d'importance qu'au regard de l'éternité (représenté par Ahasvérus).
Ahasvérus est un personnage légendaire qui aurait maltraité le Christ (ça c'est pas bien ! Ahasvérus est-il conscient qu'il risque l'enfer !). Pour le punir il aurait ainsi été condamné à l'éternité et à une errance perpétuelle. C'est le mythe du 'juif errant', tout comme Cain qui est condamné à fuir perpétuellement.

Donc, le fini, l'infini et la relation entre les deux : les sens, le corps, la connaissance.
Don Juan est le personnage mythique dont la littérature s'est souvent emparée et dont elle a fait l'idéal du matérialisme, de la débauche et de l'impiété. On considère que depuis le créateur de la légende en 1630 (Tirso de Molina connu également sous son nom de robe : frère Gabriel Téllez) qu'il y a quelque trois mille oeuvres mettant en scène le séducteur par excellence, jeune ou vieux, beau ou seulement intéressant de visage, marié ou non, cynique ou hypocrite, gentihomme ou moderne, rebelle à l'amour ou sentimental... Homme ou femme...
II est, comme Faust, un symbole de l'éternel problème de la vie : après avoir suivi une voie différente, il arrive au même but, il se rencontre avec lui dans une même idée de doute, dans le même sarcasme contre le monde et contre Dieu. On racontait qu'à Séville, sous le règne de Pierre le Cruel selon les uns, au temps de Charles-Quint selon les autres, un certain Don Juan, de l'illustre famille Tenorio, s'était proposé d'enlever la fille du gouverneur ou commandeur de la ville, pour la sacrifier à ses passions ; qu'après avoir tué en duel le père de sa victime, il descendit dans son caveau sépulcral du couvent de St François, et, s'adressant avec raillerie à la statue de pierre placée sur le tombeau, l'invita à être son hôte ; que la statue, exacte au rendez-vous, le contraignit de la suivre, et le livra aux puissances de l'Enfer. Tel est le thème que développa la poésie. On y mêla l'histoire d'un autre débauché, Don Juan de Mañara, qui s'était, dit-on, donné au Diable, mais qui finit par se convertir et mourut en odeur de sainteté. Gabriel Téllez traita, le premier, la légende de Don Juan, dans son El Burlador de Sevilla y convivado de piedra : dans ce drame, Don Juan, type du sensualisme raffiné, est un personnage hardi, entreprenant, qui court d'un pays à l'autre, d'un duel à un rendez-vous, de la grande dame à la simple servante, et chez qui l'impiété la plus téméraire s'unit d'une manière très puissante à l'égoïsme et à la dépravation.

Fragonard, Don Juan et le Commandeur.

Le même sujet fut transporté sur la scène française par De Villiers (ne pas confondre, vous risqueriez de mélanger les torchons avec les serviettes...), en 1659 , sous le titre de : Le Festin de pierre ou le Fils criminel. Vint ensuite Don Juan ou le Festin de pierre, de Molière (1665) : mais ici Don Juan n'est qu'un mauvais sujet qui nous amuse, sans nous étonner. Sganarelle est simplement un drôle de la famille des Scapin ; la statue du commandeur n'inspire aucun effroi, car on est trop disposé à rire pour se prêter à cette demi-sorcellerie. En 1669 parut un Festin de pierre ou l'Athée Foudroyé, par Dumesnil, dit Hosimon. Puis, Thomas Corneille mit en vers la pièce de Molière, et, en 1677, Sadwell adapta ce sujet à la scène anglaise, dans son Libertine. Vers la fin du XVIIe siècle, l'oeuvre originale de Gabriel Téllez fut modifiée et remise à la scène espagnole par Antonio de Zamora. Quelques années plus tard, Goldoni fit jouer en Italie un Giovanni Tenorio, Ossia il dissoluto punito, où les situations sont invraisemblables, les caractères raides et guindés, et qui fait de Don Juan un être misérable, n'inspirant aucune pitié, aucune sympathie. Vers 1765, Gluck en fit le sujet d'un ballet. Le premier compositeur qui en ait fait un opéra fut Righini, sous le titre d'Il Convitato di pietra, ossia il dissoluto (1777). Le Don Juan de Mozart, dont le libretto fut écrit par Lorenzo da Ponte (1787), a le plus popularisé la légende en Europe : si jamais elle fut bien comprise et bien rendue, c'est dans cette musique profonde et passionnée, dans cette joie farouche et ces chansons moqueuses qui courent d'un bout de la pièce à l'autre.
Le Don Juan de lord Byron est un beau poème : mais nous n'y retrouvons plus le personnage espagnol, nature ardente, inquiète, toujours avide de changements et de nouvelles émotions, qui cherche les occasions et domine les circonstances pour satisfaire ses passions ; le Don Juan de Byron est un être fictif, par la bouche duquel le poète exprime ses propres doutes et prononce tous ses paradoxes. Nous avons vu paraître encore un Don Juan de Marana, ou la Chute d'un ange, drame par Alexandre Dumas, 1836; Les Ames du Purgatoire, ou les deux Don Juan, nouvelle par Prosper Mérimée, 1834; Mémoires de Don Juan par M. Mallefille, 1858. En Espagne, Zorilla a donné trois ouvrages, Don Juan Tenorio (1844), El Desafio del diablo et Un Testigo de Bronce (1845). En Allemagne, Grabbe, Braunthal, Wiese, Hauch, Lenau et Holtei ont aussi, au XIXe siècle, traité des sujets analogues. Grabbe surtout a trouvé une belle idée dans son drame de Don Juan et Faust : c'était de mettre en présence ces deux caractères, l'âme et les sens, l'idéalisme du savant et le matérialisme de l'homme du monde ; il y avait là un vaste champ pour l'imagination d'un poète, trop vaste pour Grabbe qui n'a fait de son Faust qu'une pâle copie de celui de Goethe, et créé un Don Juan trop rêveur et trop métaphysicien. Je vous recommande cependant la lecture de l'ouvrage de Grabbe car c'est amusant de trouver côte à côte ces deux personnages mythiques et complémentaires.
(d'après wikipedia)

Et toujours la même question : Les aimait-il toutes ou n'en aimait-il aucune ?

La psychanalyse s'est bien sûr emparée du mythe... d'ailleurs Kierkegaard disait que pour comprendre Don Juan il faut écouter Mozart.
La volupté unique et suprême de l'amour gît dans la certitude de faire le mal.
Baudelaire
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¿Tan largo me lo fiáis...?



La fin de Don Juan, selon l'académicien Emile Henriot :


Le Commandeur de pierre :
- J'étais chargé de te punir et de venger tes odieux méfaits, mais je suis libre de choisir ma vengeance. Vis donc ! Toutefois, ne te crois pas quitte. C'est toi-même qui te châtieras.

Et les années passent. Don Juan poursuit sa vie de Don Juan. Un jour, après un long voyage à travers l'Europe, il revient à Séville et aperçoit une petite fille vêtue de haillons. Elle était occupée gravement à manger des raisins dont elle tenait la grappe levée à bout de bras au-dessus d'elle, y mordant à même, comme un chevreau. Don Juan s'approche et constate que la petite fille possède des bras pleins et bien formés et que ses seins, joliment renflés, sont déjà beaucoup plus que des promesses. A ce moment, la jeune fille, qui a terminé sa grappe, tourne la tête vers Don Juan, cligne de l'œil et lui souffle gaiement la peau vidée du dernier grain à la figure. Cette familiarité a, paraît-il, le don d'échauffer notre hidalgo. Il se précipite, prend les poignets de la jeune personne et tente, mais en vain, de l'embrasser. Sûr de lui, Don Juan lança alors la grand argument :

- On m'appelle Don Juan.

La petite fille n'avait probablement jamais entendu parler de ce grand homme, car ce nom n'eut pas plus d'effet sur elle que le vôtre ou le mien.

- C'est singulier ! se dit Don Juan. Cela vaut deux oranges et cela fait la fière.

Il demeura un instant à examiner le masque puéril et hardi. Les yeux droit sur lui, elle n'avait vraiment point peur. Sa jeune chair, dure au regard, étincelait sous la crasse comme une fleur dans le fumier. Don Juan se sentit mordre, au fond de lui, par son démon. Puis, tremblant un peu, mais du seul désir, il dit à voix basse :

- Je ne te plais pas ?

La petite le regarda tranquillement. Il y eut un silence... Puis elle lança :

- Non, vous êtes vieux !


Et ce fut la fin de Don Juan... Fin cruelle...
Faust, es-tu là ?