vendredi, juillet 01, 2005

Rolla


Mon premier essai...

Rolla, tableau de Henri Gervex (1852-1929), peint en 1878, à découvrir au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux. Gervex a puisé son inspiration dans le célèbre poème d'Alfred de Musset, 'Rolla', dont nous reparlerons plus tard.

Voici le commentaire qu'en fait l'écrivain Joris-Karl Huysmans (1848-1907) :

C'est vraiment un cas curieux que celui de M. Gervex. Ce peintre présente un tableau intitulé: Rolla. - M. Grevex est hors concours, il n'a donc plus a subir l'examen de ces gens qui osent bien jouer, en art, ce rôle de médecins de la police : visiter chaque toile et la refuser si elle est originale et partant malsaine.
Son oeuvre est apportée quand même dans la salle des consultations ; elle est admise de plein droit, on lui trousse néanmoins la robe et alors commence, à n'en pas douter, une scène exquise.
Les bouffons médiocres qui composent le jury, renouvellent, en la renversant, la scène de Phryné, si mal rendue par le triste Gérôme. Ce n'est point la courtisane, ce sont les juges qui se voilent la face. La censure vient au secours de ces bons caducs, déclare l'oeuvre immorale, la refuse sous prétexte qu'elle attente aux moeurs.
Mon intention n'est pas de discuter ici l'opinion du jury. Je l'ai déjà énoncé, et je le répète une fois de plus, l'art n'a rien à faire avec la pudeur et avec l'impudeur. S'il n'en était point ainsi, ce serait la condamnation de toute nervosité ou de toute puissance, la négation absolue de l'étude de la nature et de la vie!
Nous n'en sommes certes plus aux temps où, mettant à la torture Jan Torrentius, l'on faisait en même temps brûler ses toiles comme étant des oeuvres abjectes et priapiques. Ces arguments de critique ont lentement pris fin - à défaut de pilori et d'autodafé, nous avons un Saint-Lazare pour les livres et pour les tableaux - il y a progrès. La législation est devenue plus douce pour les filles et pour les oeuvres d'art.

Mais sans perdre notre temps à récriminer, venons au panneau qui est exposé chez Bague, l'expert, au no. 41 de la chaussée d'Antin.

En voici la description:
Au milieu d'une chambre tendue de soie, un lit blanc, laqué, Louis XVI, s'étend, le tête surmontée de rideaux bleus, les pieds posant sur un tapis moucheté de pourpre sombre; au chevet, une table de nuit, en bois de rose, du même style, avec plaque de marbre blanc et petite galerie ajourée et dorée, supporte une lampe bleu turquoise au pied de laquelle se déroule un collier de perles. à côté, au premier plan ; à droite, un fauteuil tacheté de feuille morte, de vert pâle et d'ocre, contient le harnais de grâce jeté à la vanvole dans la bourrasque savante d'un déshabillage. Un chapeau noir, près d'une canne au pommeau de lapis, se dresse glorieusement sur le gais fouillis d'un corset écarlate et d'une robe de soie rose.
Dans la déroute des draps, sous la courte-pointe bleue ouatée, qui pend sur la couche, Marie, Marion ou Maria, ainsi que l'écrit M. de Musset pour le besoin de ses rimes, gît, les bras et la tête jetés, les cheveux blonds dévalés, les seins roulants. Elle a les yeux clos, battus, culottés de bistre, la bouche désalivée, rougie de carmin par place, fripée par d'autres et tout cela sourit un peu, d'un sourire presque douloureux, d'un sourire lassé qui implore une trêve. La jambe droite se soulève, la gauche pend en dehors du lit, découvrant le ventre à peine mûr au bas duquel le drap déferle et vient mourir.
Rolla, ou le premier monsieur venu, - le titre de M. Gervex n'est qu'un prétexte, et je l'en félicite car il est impossible de faire avec l'emphase et le lyrisme de pacotille de ce poème, une oeuvre vivante et vraie - a ouvert la croisée toute grande. Paris s'aperçoit, un Paris réveillé dont les tièdes alcôves vont s'ouvrir sur le pillage des oreillers et la débâcle parfumée des draps ! Brun, maigre, les orbites creuses, les joues hâves et tirées, la chemise tassée dans la culotte qu'elle bossèle aux fesses, le jeune homme regarde, regrettant et dégoûté, la fille inerte, avachie dans son long somme. Cette figure ravagée et sombre, détachée dans un flux de lumière blonde est vraiment belle. Dans ce dépoitraillé de costume, dans cette chemise au plastron et aux manches froissées, cet homme a grande allure et je vois dans cette fille éboulée, après des intimités haletantes, sur un lit, un coin de parisianisme et de modernité qui évoque en moi des souvenirs du grand et divin poête, Charles Baudelaire.
Si nous passons maintenant à la facture même de l'oeuvre, le Rolla est un tableau comme l'on en verra peu, à coup sûr, au Salon de cette année. Le seul reproche que je pourrais adresser à l'artiste, ce serait une certaine tendance pour les tons crayeux. Ainsi que, dans sa toile de l'année dernière, Une Première communion à la Trinité, M. Gervex s'est complu à faire se marier, se heurter, se fondre ou se contraster ses blancs. Un jupon échoué sur le parquet, s'appuie sur le cercle empesé de la taille et se redresse en éventail le long des draps. Il y a là un effet curieux et bien rendu. Tout cela est brossé largement, sans fioritures ni blaireautages, les accessoires sont enlevés à grands coups, bravement. Le premier plan est tout simplement exquis. Pour réveiller la tonalité bleue et blanche de son tableau, le peintre a placé le fauteuil diapré dont j'ai parlé plus haut; passant ainsi des teintes calmées des tentures et des chairs à cette gamme de couleurs plus chaudes, l'oeil s'arrête ensuite au rose et au rouge vibrant de la jupe et du corset et suit de là la ligne plus sombre du tapis jusqu'au pied de la couche qui amortit dans son ombre le satin cerise d'une mule, jetée là, à la boulevue.
Il y a dans cette toile, une grande science d'arrangement, une infinité de détails qui ne turbulent point et qui n'empiétant pas sur le sujet, le complètent simplement et l'expliquent. Si je m'arrête maintenant devant la femme même, la tête jolie, un peu populacière, le corps frêle et jeune, le cou, les seins, sont excellents, j'aime moins par exemple, la jambe qui fait l'angle et je retrouve trop parfois dans le rendu des chairs, certaines colorations qui me rappellent les gris laiteux du célèbre Cabanel.
Mais ces critiques sont de peu d'importance. Mon opinion, c'est que M. Gervex a fait là un très bon tableau. J'attends maintenant, au Salon qui va s'ouvrir, les toiles que les gabelous de la peinture auront bien voulu admettre. Les impressionnistes viennent d'y être refusés, en bloc, ceux-là faisaient aussi trop moderne et trop vrai ! Après la délicieuse exhibition des charnures vivantes, allons savourer maintenant la hideur des Sidonies à coiffeurs et des beautés de cire !

J.-K. HUYSMANS.

1 Comments:

At mardi, 18 octobre, 2011, Blogger amrootha said...

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Tapis De Soie

 

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